Chroniques d'un mort-vivant




 
Chroniques d'un mort-vivant
 
Premier constat.
 
« Dieu est mort » Peut-on lire sur quelques vieux murs, étalé à la peinture rouge comme on étale de la confiture. Toujours en lettre capitale et sans jamais y apporter de soin particulier. Il n'est pas rare non plus de le voir écris avec une ou deux fautes d'orthographe. Tel que « Dieu ai mort » ou encore « Dieu est mord » ! N'y voyez pas de message caché ou même un quelconque jeu de mots. Les auteurs n'y mêlent aucune volonté artistique. Non, ce message est à prendre au premier degré tout comme « Adieu Paris » fût gravé sur certains murs d'immeubles condamnés de la capitale.
Dieu est mort et il n'est nullement besoin de l'écrire correctement pour le faire savoir. L'important est de comprendre pourquoi ces personnes ont ce besoin irrépressible de faire lire ce message au plus grand nombre.
Même s'il est fréquent de trouver ces trois petits mots écrits au marqueur dans les toilettes publiques ou à l'intérieur de bâtiment désaffecté où presque personne n'y mettra les pieds, il apparaît bien plus souvent en haut des façades d'immeubles, en pleine ville à la vue de tous ou au-dessus de certains ponts. Au-delà même du questionnement que peut me poser ce message, mon premier étonnement est : Mais comment ont-ils pu écrire cela à une telle hauteur ?
Il faut une réelle détermination pour prendre un risque pareil. Et une foi inébranlable en cette affirmation. Mais surtout, un désespoir absolu en l'avenir.
Comment ne pas penser à la fin du monde devant ces quelques mots écrits en grand à la peinture rouge sur la façade grisâtre d'un vieil immeuble ou en blanc sur les briques rouges d'un bâtiment industriel ?
Et un détail en amenant toujours un autre, on se rend très vite compte que ce rouge parfois dégoulinant est souvent la seule touche de couleur vive au milieu de ces teintes ternes et vieilles de gris-bleu et parfois blanchâtre qui habillent nos villes industrio-commerciales.
Même par temps clair, vu du dessus des murs de nos cités, l'horizon jusqu'à la voute céleste se
confond dans ses miasmes en une brume nauséabonde. Je vois déjà sur nos toits la terrible menace d'une lourde dépression dans les épais nuages noirs qui ensevelissent le ciel. Il y a dans l'air, mêlé à l'odeur âcre de déjections, comme un parfum presque doux de fin de saison. Ce n'est plus une question de temps maintenant, mais aussi d'espace. Je crois que nous avons passé l'automne de notre civilisation.
Je vois le visage de l'humanité, au travers de la foule, perdre ses couleurs et se décomposer.
Regard froid, figure blafarde. Notre société s'effrite comme les murs abandonnés où trône en toute lettre « Dieu est mort ». Et en y réfléchissant bien, tout comme s'il avait été écrit dans des toilettes publiques où à l'intérieur d'un bâtiment insalubre, personne n'y prête attention.
D'ailleurs, à y regarder de plus près et pour cela pas besoin d'être fin observateur, ne sommes-nous pas au beau milieu d'une latrine publique ? Ca sent l'urine dans tous les coins de rues, des impasses, des halls d'immeubles et il y a de la merde partout sur les trottoirs. Et là je ne parle qu'au propre. Les exemples au figuré ne manquent pas non plus.
Ils écrivent « Dieu est mort » comme les égyptiens écrivaient dans les tombes de leurs rois. Seul les morts étaient autorisés à déchiffrer ces messages avant leur passage dans l'au-delà. Mais les morts ne lisent pas. Nous vivons dans une tombe à ciel ouvert, une fosse commune, et ne pouvons plus lire ce qui est écrit sur nos murs puisque nous sommes déjà morts.
Pour les auteurs de ce message, nous sommes tous les infortunés rois d'une nécropole ensevelie sous la poussière des siècles passés. Nous avons atteint le point culminant de notre pyramide sans pour autant avoir consolidé ou vérifié les bases même de nos calculs, et sous nos antiques convictions, s'enlisent dans les alluvions des anciennes générations ses fondations originelles.
Trop pressés d'arriver au sommet pour enfin dominer le monde d'un seul regard, nous avons oublié de nous assurer de l'état des premières marches du progrès. Tout s'effondre peu à peu comme un vulgaire château de cartes.
Nous rêvions de nous asseoir aux côtés de Dieu, nous pouvons songer dès à présent à nous allonger près de lui sur son lit de mort.





Chroniques d'un mort-vivant

Danse macabre

L'humanité n'est plus que le spectre de sa mémoire.
Une image issue de la décomposition d'une onde. C'est bien là la définition du mot spectre.
Nous conservons notre apparence humaine comme nous conservons nos habitudes, mais c'est de conserver nos habitudes qui nous attache à notre apparence humaine.
Toute matière est une onde et par la fréquence à répétitions de nos discordes qui se propagent, qui s'étendent telle une pandémie, elle se décompose sous nos yeux mornes et vitreux qui se sont habitués à cette dégradation comme à une immuable fatalité. Seul le souvenir de ce que l'on était nous fait encore tenir debout, marchant au milieu des cadavres exquis de la pensée commune et des reliques de notre imagination. Notre monde n'est plus qu'une illusion d'optique projeté par nos cerveaux malades. Des décombres que nous tenons en équilibre par l'idée résiduelle que nous sommes encore en vie.
Être encore en vie. Est-ce que moi-même j'y crois toujours ? Pourtant, pas un jour sans que je ne me lève en oubliant que je suis mort alors que jamais un souffle chaud ne vient balayer ma nuque lorsque parmi la foule, je déambule comme tout le monde pour ne jamais aller... Je ne sais où !
Quand bien même je m'y rends, ce n'est que pour tourner en rond et faire demi-tour. Et chaque jour je tente de me remémorer cette marche, cette longue et pénible marche qui n'a d'autre intérêt que de pouvoir chaque jour m'en raviver la douleur. Mais dans quel but ?
Je ne m'en souvient que lorsque je suis là, parmi la foule, à n'entendre que des râles et des suffocations. Je cherche un souffle chaud sur ma nuque... J'ai faim de vie, soif de sang neuf et de sang chaud. Je n'ai de désir que de perdre mon sang froid. Mais je reste impassible.
Mon âme, s'il en est une encore en moi, est une mer d'huile. Un océan placide fait d'une eau morte où plus aucun soulèvement ne fera de vague. Je supplie et je hurle à la lune comme en moi-même, d'être à nouveau prit dans son attraction. Mais si en moi-même je n'aspire qu'à une révolution, face à la pâle clarté de la lune, aucun son ne sort de ma bouche. Mon cri expiré s'exhale en un souffle rauque.
Je sens parfois, dans l'un de mes plus profonds soupirs, un léger goût de sel sur le bord de mes lèvres suivi d'une odeur amande amère. Ma conscience abyssale s'évapore peu à peu... Mais mon cœur reste de glace dans l'obscurité d'un corps de marbre fissuré.
J'aimerais qu'un coup de masse le fende pour de bon ! Voir mon cœur se briser en mille morceaux et fondre d'une émotion même trop forte. Juste un peu de chaleur humaine !
Dieu que les portes sont closes ! Le paradis est un sentiment que l'on partage avec les autres, l'enfer est une raison que l'on garde pour soi. Mais la raison a très vite pris le pas sur les sentiments et tout le monde s'est réfugié sous l'arbre de science, ayant déraciné les uns après les autres ceux de l'immense forêt de songes qui l'entourait.
La foudre n'avait alors d'autre choix que de tous nous brûler vif à ses racines. Aujourd'hui, nous n'avons plus rien à partager, nos rêves et nos espoirs sont réduits en poussière. Nous conservons les cendres de leur mémoire à l'esprit comme dans des urnes que nous entretenons avec nostalgie. La folie a eu raison de nous et nous la cachons quelque part, derrière des murs de silence.
Faire entendre sa voix revient aux yeux fermé du monde, à risquer d'ouvrir la boîte de Pandore et de réveiller la triste réalité qui sommeille en nous. Comme il est dangereux de réveiller un somnambule lors de sa crise, il l'est tout autant pour notre civilisation de la sortir aussi violemment de sa torpeur.
Toute une partie de l'humanité a croqué sans modération la vie à pleines dents jusqu'à l'empoisonnement alimentaire, laissant à l'autre partie affamée leurs restes contaminés. Maintenant, ils gardent en eux jusqu'à leur dernier repas, refusant de vomir et de constater tous les mensonges qu'ils ont avalés. Je me donne l'impression parfois d'être anorexique.
Je suis bien malgré moi l'écho persistant du vide qui m'entoure et je m'estompe dans la brèche qui sépare désormais le temps de l'espace.
Je meurs un peu plus chaque seconde, plus vite que les autres. Fossoyeur de mon esprit, je creuse ma tombe toujours plus profonde à chacune de mes pensées.




Chroniques d'un mort-vivant

En proie au doute

Alors que de l'ombre jusqu'à la gloire la marche est longue, de la gloire à l'oubli il n'y a qu'un pas. L'humanité fuyant l'ombre de sa perte, causée par son idéal bien trop grand, a courut vers cette utopie jusqu'aux extrémités des raisons les plus folles sans pouvoir s'arrêter. L'extrémisme n'étant qu'autrement dit, une chute prononcée. Je traine derrière moi mon ombre cadavérique tout comme le reste du monde.

La plus belle idée de l'homme fut pourtant de penser qu'il y avait une âme en lui ! Dommage qu'il ai préféré poursuivre d'autres chimères jusqu'à en perdre l'esprit. Aujourd'hui les quelques être vivants, aussi vivant qu'ils puissent le croire, encore doués de raison, se cachent dans leur forteresse, derrière de grands murs de pierre taillés dans la peur, bâtis dans la haine. Ils vivent dans ces endroits sombres et lugubres et déambulent à l'abri des regards dans de long couloirs qui ne mènent plus qu'au cœur de leur propre tombe: de grandes pièces vides et totalement aseptisées qu'ils nomment centre d'intérêt commun.

Faut-il vraiment être raisonnable pour non seulement faire comme si de rien n'était, comme si leur vie avait toujours un sens ?
Mais de surcroît, s'imaginer un sens bien plus certain et censé que celui des autres ? Ils se rongent eux-mêmes la cervelle. Ils boivent leur propre sang. Pourquoi ne partagent-ils pas leur savoir avec nous, hors des murs de leur sépulcre charnel ? Pourquoi ne nous font-ils pas profiter du secret de leur longévité ? Ainsi, ils pourraient satisfaire cette rage de vivre en nous qui se tait, bâillonnée par le silence qui nous sépare. Mais au fond d'eux, ils le savent. Cette rage, elle aussi, se tait. Alors que nous, nous ne cherchons qu'à en extraire le cri, sans savoir comment ni réussir à le faire. Eux préfère l'ignorer en la ravalant. Ils ne savent rien en fait. Leur longévité et leur savoir ne sont que des espérances nourrissant à vide leur raison affamée. Encore une utopie. Une religion basée sur les écrits d'un ancien monde qu'ils renient en nous le reprochant. Dieu est mort et c'est notre faute. Nous l'aurions dévoré sans autre raison que celle de satisfaire nos besoins.

Quelle folie ! L'humanité couvait en son ventre creux le complexe d'œdipe. Nous avons fini par tuer notre père pour le dévorer et accompli l'acte contre nature avec notre mère en nous prenant pour des dieux. Nous sommes le résultat incestueux de ce viol. Des fruits pourris émergeant de ses entrailles souillées par notre semence. Nous nous cultivons nous-même et dans nos organismes génétiquement mauvais, se reproduit cette graine qui germe dès la naissance. Personne n'y échappe. Pas même ceux qui s'imaginent la chair et la pensée plus savoureuses. Désormais, la venue au monde est étroitement liée au destin. Ils forment une boucle dont le nœud est si serré que plus personne ne peut en sortir. Ne pas y penser de peur de finir le cœur et la gorge serrés à son tour. Pourtant, c'est peut-être ce qui pourrait nous sauver.

Un ressenti ! La peur de mourir enfin. Aboutir à quelque chose de définitif. Un terminal.
Sommes-nous des êtres morts croyant toujours être en vie ou des êtres vivants ignorant encore d'être mort ? Cette question reste sans réponse. Il semble qu'à chaque fois que je comprends quelque chose, ce n'est toujours pour qu'à nouveau je m'interroge. Doit-il y avoir une raison à cela ? Ou n'est-ce qu'un besoin de plus comme celui de vouloir me nourrir de la présence des autres ? Mais tout comme je ne trouve que de vaines réponses à mes questions, je ne trouve pas plus de saveur ni de bon goût dans la froideur de ceux qui m'entourent: des boulimiques conditionnés à leur pathologie qui ne peuvent plus se rassasier, réduits à l'état de charogne faisant la queue pour ronger jusqu'aux os quelques restes de vie avariée. Tandis que nous cédons tant bien que mal à nos besoins stériles, les autres, mis au pied du mur, dissimulés derrière leurs ombres et sous le régime de la raison, cherchent encore une excuse pour ne pas plonger à corps perdu dans la folie qui les gagne. Ils s'accrochent désespérément aux bord du précipice par les restes calcinés des racines de l'humanité, qui s'est déjà jetée dans le vide. Ils s'accrochent comme on s'accroche au passé alors que le présent glisse sous nos pieds inéluctablement, vers le néant.

Moi-même, mes pensées résultent d'un ancien ordre d'idée. Peut-être faut-il s'emprisonner pour apprécier la liberté.
Sentir sur soi cette vieille odeur de mort pour prendre goût à la vie.
Se mettre dans une bulle jusqu'à ne plus pouvoir respirer pour prendre l'air enfin... Une dernière fois.

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