Mémoire inconnue








Mémoire inconnue

Depuis combien de temps suis-je croupi sous terre
A ramper comme un rat dans ces longues tranchées
Et voir ces combattants qui sont comme des frères
Les tripes dans les bras et la gorge tranchée ?

Je baigne dans la boue entre sueur et sang
Et je serre les dents en croisant leurs regards.
Certains toujours debout dans l'ombre s'effaçant,
Chancellent sans vie dans la brume et sans égard

S'effondrent sous la pluie battante des mitrailles.
Je sens l'odeur des corps s'imprégner sur ma peau
Et germer comme un fruit la peur dans mes entrailles.
Ces mots flottent encore : « Servir sous les drapeaux. »

Mais leurs sens sont en berne, ils brûlent sous nos yeux.
Je voudrais être ailleurs loin de cet horizon
Mais l'ennemi nous cerne. Ils embrasent les cieux
Lançant ses mitrailleurs sur notre garnison.

Où sont mes camarades ? Où sont mes frères d'arme
Dans nos plus beaux ensembles, en costume saillant ?
Quelle funeste parade ! Quand nos mères en larmes
Nous voyaient tous ensemble, esprit et cœur vaillant,

Qu'étions-nous sinon des enfants promus hommes ?
Aujourd'hui sous les bombes, l'homme est devenu fou.
De la chair à canon, c'est tout ce que nous sommes.
On rampe dans nos tombes, la mort a fait son trou.

Le vide dans ma tête comme dans ma poitrine
Je me sens décharné de mon humanité.
Et toujours se répète, cette étrange doctrine :
« Soldat vous incarnez le front des libertés. »

Un fusil à l'épaule, un couteau à la hanche,
Vivre libre a un prix et sur nos cœurs un poids.
On dort à tour de rôle, à chacun sa nuit blanche.
On garde les yeux ouverts comme des proies.

Mais sous le feu nourrie et les éclats d'obus,
Malgré la faim présente et les éclats de larmes,
La liberté chérie dont on nous attribue
Le nom est élégante et belle, pleine de charme.

On ne la verra pas sur le champ de bataille.
Elle attend dans la brume, sur un quai loin d'ici.
A chacun de mes pas une nouvelle entaille,
C'est mon sang sur ma plume ! Je le lui verse ainsi.

Lorsque sur cette lettre, couchée sur le papier,
Mon corps par petits bouts lui sera envoyé
Car j'aurais peut-être posé l'un de mes pieds,
Enfoncé dans la boue sur une mine broyé,

Ne lui dites jamais que ces mots sont de moi !
Si je devais survivre à cette catastrophe,
Je lui dirais que mes maux ont depuis des mois
Brûlé. Que j'étais ivre aux deux dernières strophes.

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