Les spectres



Crépuscule amoureux

Mon amour... Regarde-moi. Dis-moi quelque chose !
Pourquoi magnifier aux lueurs de ces bougies
Ton visage sous une mine aussi morose ?
Même à mes mots les plus doux, ton teint ne rougit.

Pourquoi souligner ton regard d'un mascara
Alors que des larmes débordent de tes yeux ?
Tu portes tes plus belles perles d'apparat
Pour regarder au loin s'évanouir les cieux.

Tu penses à moi je le sais, puisque tu soupires !
Le soleil se couche et tu contemples l'horloge.
Combien de fois étions-nous aux premières loges

Pour voir notre aurore à l'horizon s'assoupir ?
L'heure est venue. Il est temps de nous embrasser
Mais tu me tournes le dos. Le dos au passé.







Un fantôme

Mon cœur est un fardeau. Il ne sert à rien.
Il bat dans le vide et sonne comme le glas.
On parle dans mon dos, je le sais très bien.
On me dit livide et froid comme le verglas.
Mon âme est en lambeaux, tombant en poussière,
Elle s'éparpille aux quatre vents, sans un cri.
Mon corps est un tombeau d'allure grossière
Où nul ne gaspille une prière, c'est proscrit.
Et mon esprit se mure dans le silence, il meurt.
Dans sa longue agonie on entend comme un râle.
Parfois simple murmure, parfois faible rumeur...
Tout le monde le nie. Ma voix est sépulcrale.
Je suis le courant d'air qui vous glace le sang
Lorsque vous êtes seul. Cette petite mort
Qui vous donne la chair de poule. Spectre naissant
Des peurs sous un linceul, l'angoisse qui vous mord.
Je traîne les chaînes de ma vie d'autrefois
Le long de votre dos. Tremblez-vous quand je tombe ?
Sentez-vous la gêne de mon regard parfois ?
Je ne suis qu'un tas d'os qui vous voit d'outre-tombe.
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Mon frère

Sort de ton tombeau ! Ouvre en toi sa lourde porte !
Expulse l'air vicié de tes noirs poumons
Et jette en lambeaux ces oripeaux que tu portes !
Ton cœur sera gracié de tous ses démons.

Ne les laisse pas te dévorer les entrailles !
Leurs griffes et leurs crocs te brûlent puis t'éventrent.
Ils sont du trépas cette incessante mitraille
Qui perce sans accroc l'état d'âme où ils entrent.

Tu dors dans un cercueil de larmes et de sang
Où tu plantes des clous dans ta chair et tes os.
Les ténèbres t'accueillent en leur fond, t'embrassant,
Parce que tu te fous de périr en leurs eaux.

Réveille-toi de cette torpeur qui te hante,
Te possède et te tue petit à petit feu.
Expulse de ta tête la peur, cette amante
Qui t'obsède où que tu sois ! Ton rêve est affreux.

Tu creuses pour ta vie une trop large fosse.
Que crois-tu mettre en bière ? Tu n'es qu'un enfant !
Tu t'enterres ravi, comme en tes idées fausses,
Dans un trou de cimetière d'éléphant.

Pourtant, dans nos veines coule le même sang.
Mon frère nous sommes venus du même ventre.
Immense est ma peine quand je te vois, chassant
L'idée d'être un homme pour rester dans ton antre

Comme on chasse un dragon pour suivre un joli monde.
Du fond de ta tombe aujourd'hui, toujours vivant,
Fais-moi grincer les gonds de cette geôle immonde
Que tu nommes ton beau rêve si décevant.